Avec le recul de vingt ans d’activité dans l’écosystème Microsoft (dont douze passés chez l’éditeur), Stéphane Sabbague, président et co-fondateur du cabinet d’études Calipia, analyse les dix principaux points forts et points faibles de Microsoft. Sans complaisance.


 

Commençons par les points positifs.

Les 10 principaux points forts de Microsoft

1 – Revenus : une formidable machine financière

Peu d’entreprises peuvent se prévaloir de résultats tels que ceux de Microsoft. Une croissance régulière, le plus souvent à deux chiffres et cela depuis la création de la société, il y a maintenant 36 ans. Mais aussi des bénéfices colossaux, qui ne cessent eux aussi de croitre de façon tout aussi régulière.

En un mot Microsoft est une société très profitable et très prévisible financièrement, ce qui est clairement un atout appréciable dans des périodes troublées. De tels résultats sont  à mettre au crédit des produits proposés, mais aussi, sans aucun doute, d’un Steve Ballmer aux commandes de la société et  de son fidèle collaborateur Kevin Turner qui tient en main l’ensemble des forces de vente de l’éditeur.

Les résultats restent en hausse malgré un marché du PC en baisse (nous l’avons encore vu il y a quelques semaines lors de la publication des résultats trimestriels de l’éditeur). Régulièrement, années après année Microsoft augmente son ratio de $ / PC / an (somme dépensée par les clients en technologies Microsoft par PC et par an) revenu que l’on peut aussi étendre aux Macs avec les technologies Office pour Mac et les différentes CAL (Licences d’Accès Client) associées à l’utilisation des serveurs. Ou encore aux licences Office 365 pour l’ensemble des périphériques.

Ce « $ par PC par an » reste pour Microsoft un élément clé de comparaison de sa rentabilité entre ses différentes filiales en fonction des différents type de clients (des Grands Comptes jusqu’à la TPE). Ces chiffres d’un point de vue macroscopique sont surveillés depuis toujours, comme le lait sur le feu, par les instances dirigeantes outre-atlantique.

Petit à petit, ce ratio se transforme pour devenir un « $ par utilisateur et par an » qui reflète mieux la tendance actuelle privilégiant les services. On le voit avec les offres Kiosk d’Office 365 par exemple, un utilisateur ne dispose pas forcément d’un PC. Ceci étend donc la base de calcul pour l’éditeur, mais  le ratio moyen devra alors inexorablement baisser . Une révolution pour le géant de Redmond.

2 – Windows, Windows, Windows

S’il est un succès qui au fil des ans ne se dément pas c’est bien celui de Windows. Il y a certes eu quelques échecs : les premières versions du système avaient une diffusion confidentielle, on se souvient aussi de la version Millenium (Windows ME), ou plus récemment de Vista. Mais Windows a su se réinventer en permanence pour maintenir sa position de leader sur le marché, position que l’on mesure principalement sur deux critères :

  • ·La capacité à attirer les développeurs et donc les applications et donc au final les utilisateurs. Et au-delà des seuls développeurs tout l’écosystème (Hardware, SSII, Formations, etc.).
  • ·Les revenus directs et indirects générés par le système.

Avec un chiffre d’affaire de 19 milliards de dollars et surtout un bénéfice de plus de 12 milliards lors du dernier exercice fiscal de l’éditeur, Windows, fort du succès de sa version 7, reste une formidable vache à lait pour Microsoft, lui permettant d’investir dans d’autres activités moins rentables (nous en reparlerons). Les enjeux de la version 8 seront importants, voire primordiaux pour maintenir cette position, c’est ce que Pierre Bugnon évoquait dans la précédente Lettre Calipia.

3 – Les technologies de développement

Les outils de développement sont rappelons-le à l’origine de Microsoft. Le premier produit vendu par la firme fut BASIC, ce fut ensuite d’autres langages de développement tels que des compilateurs Fortran ou Cobol ! Le premier système d’exploitation est arrivé plus tard avec une version d’Unix (Xenix), puis l’incontournable MS-DOS. Les développeurs furent ainsi les premiers clients de l’éditeur, et en interne ses employés les plus choyés (Bill Gates avait coutume de dire que les développeurs étaient les seules « machines outils » de l’entreprise, représentant tout l’actif de la société, avec tellement plus de valeur que les locaux !). Malgré les  tempêtes que furent l’arrivée de Java par exemple (au tout début des années 2000), ou la mainmise de PHP sur le développement Web « de masse », Microsoft a toujours su réagir (avec Dot Net par exemple début 2000) et proposer de très bonnes alternatives, intégrant souvent les technologies de la concurrence.

L’éditeur le sait, la communauté des développeurs est le dernier carré à ne jamais perdre pour continuer d’asseoir sa stratégie système et applicative.

Un bel exemple en est donné actuellement avec le virage HTML 5 tous azimuts de la société, même si au passage cela signifie pour elle de manger son chapeau Silverlight. Le futur des interfaces clients s’écrit en HTML 5 donc Microsoft doit devenir le leader des interfaces HTML 5 (c’est tout au moins son objectif !), en commençant par le navigateur, Windows (avec la version 8 ) mais aussi et surtout les outils de développements ! C’est tout le sens des dernières annonces lors de la conférence « Build » du mois de septembre 2011.

4 – La stratégie Xbox

Après des débuts assez difficiles, ou plus exactement, consommateurs de ressources financières, la Xbox s’est taillée une belle part de marché. Mais plus encore, la croissance de sa plateforme en ligne « Xbox live » (plus de 35 millions de comptes utilisateurs à ce jour) et de ses abonnements (payants) préfigure bien de la consommation de services à venir.

Tout ce qui doit être le New Microsoft y est : consumérisation et services Cloud ! Un modèle à suivre pour le reste de la société.

Ajoutez à cela le succès sans précédent de la Kinect, des possibilités de développement de cette interface (la reconnaissance vocale vient d’arriver) et vous avez en perspective un excellent moteur de revenus pour les prochaines années. Certes, Microsoft n’est pas à l’origine de Kinect, mais quel flair d’en avoir pris une licence au nez et à la barbe d’Apple ! Et surtout d’avoir  imaginé de tels développements.

Dans un environnement du jeu ou les géants du secteur que sont Sony et Nintendo sont à la peine (voir leurs derniers résultats financiers), Microsoft s’en sort vraiment très bien.

5 – Les technologies serveurs

Années après années, les technologies serveurs ont su prendre une part importante dans le dispositif Microsoft. Windows Server a terrassé Netware et s’est installé durablement dans les entreprises, facilitant l’adoption des autres technologies de l’éditeur. L’omniprésence de l’annuaire Active Directory en est sans aucun doute l’illustration la plus concrète.

Ces technologies d’infrastructure (mais aussi de gestion des données) représentent aujourd’hui un chiffre d’affaire (en forte croissance) de plus de 17 milliards de dollars et un bénéfice de plus de 6,5 milliards. La suprématie de Windows Server n’est certes pas totale, en particuliers sur le segment des serveurs Web et du simple partage de fichiers, mais Microsoft met tout en œuvre pour augmenter les nouveaux usages à plus forte valeur ajoutée, mettre en avant le collaboratif ou encore la gestion de version et bien sûr la virtualisation « intégrée ».

D’un autre coté les offres d’administration de systèmes ne cessent de gagner en profondeur et fonctionnalités.

Coté base de données, la société n’est pas en reste avec son produit phare SQL Server qui gagne lui aussi de plus en plus de parts de marchés et de fonctionnalités (en particulier autour de la Business Intelligence, du Cloud, et du « Big Data ») dans un environnement encore très fortement dominé par Oracle en France par exemple.

6 – Cloud tous azimuts : IaaS, PaaS, SaaS

Microsoft a été parmi les premières sociétés à investir et croire dans le Cloud, mais plutôt sur l’aspect grand public, avec des technologies telles que  Hotmail (plus de 450 millions d’utilisateurs), Messenger ou encore Windows Live (ex Passport). C’est donc finalement assez naturellement que la société s’est engagée massivement vers le Cloud pour les professionnels.

Mais plus qu’un pari technologique, c’est un pari sur le « business model » que prend la société avec ce virage vers le cloud. Un pari capital. L’éditeur n’hésite pas à mettre toutes ses forces dans la bataille. Les premiers résultats de son offre SaaS (BPOS puis Office 365) font plus que bonne figure face à la concurrence, elle est en passe de se tailler la part du lion sur le marché. De quoi garder sa position de leader face à un Google de plus en plus menaçant, sans trop rogner sur ses marges.

Un bel exercice d’équilibriste que le géant doit réussir aussi bien du coté technologique que sur l’aspect commercial avec ses nouveaux programmes d’achats au demeurant assez complexes (voir les évolutions récentes du contrat Accord Entreprise pour intégrer ces offres online par exemple).

7 – L’audace

Microsoft ne manque parfois pas d’audace. Que l’on aime ou l’on déteste la société, il faut au moins lui reconnaître qu’elle ne dort pas trop sur ses lauriers.

Quelle audace de modifier en grande partie l’interface de son produit phare qu’est Office, alors même que ce dernier représentait plus de 30% de son chiffre d’affaire et 45% de ses bénéfices ! C’est pourtant ce qu’a réalisé Microsoft avec Office 2007 et son « Ruban ». Le risque était de dérouter les utilisateurs et de mettre à mal le renouvellement de la suite bureautique chez les clients. Ce risque, l’éditeur l’a pesé et assumé. Le résultat a été positif, avec à la clé un renouvellement accéléré de la bureautique chez ses clients.

Ce n’est ni plus ni moins  le même exercice que tente actuellement l’éditeur avec Windows et la refonte de l’interface avec Métro.

8 – La ténacité

La ténacité, Microsoft n’en manque pas, s’il fallait prendre un seul exemple, ce serait bien celui de la console Xbox qui a fini par percer alors que sa division commerciale était dans le rouge depuis des années. Après une augmentation des pertes de 2001 à 2007 (elles avaient atteint 1,9 milliards de dollars en 2007) la tendance s’est inversée depuis 2008 pour permettre à la société de réaliser plus de 1,3 milliards de dollars de bénéfices lors du dernier exercice fiscal.

C’est la même ténacité (le même acharnement diront certains) qui est encore aujourd’hui à l’œuvre avec l’entité Online de Microsoft et Bing en particulier. Contre vents et marées l’éditeur continue d’investir, malgré les revers, et surtout la position toujours plus dominante de Google…

9 – L’agilité

Microsoft est un géant de 94 000 personnes. C’est néanmoins une société qui n’hésite pas à se remettre en cause en réorientant rapidement ses priorités. Force est de constater que cela marche et se fait assez rapidement, un miracle quand on connaît le poids de l’organisation et le poids croissant des processus.

L’agilité est dans les gènes de Microsoft. Couplée à une analyse permanente des menaces qui frise la paranoïa.  « Seules les sociétés paranoïaques survivent », Microsoft a fait sienne la devise du fondateur d’Intel, Andy Grove. Souvent l’éditeur n’était pas un visionnaire et s’est engagé dans de mauvaises directions. Les exemples sont nombreux : souvenons-nous de l’arrivée d’Internet et des navigateurs. Si Bill Gates n’avait pas vu venir cette révolution, tout occupé à construire son propre réseau privé MSN (pour « The Microsoft Network») basé sur des technologies propriétaires (pas question à l’époque – nous sommes en 1996 – de HTML), il a su prendre des décisions à 180° et y faire adhérer toute la société pour lancer le fameux « Embrace and Extend » qui donna naissance à Internet Explorer, IIS, etc.

Avec le Cloud, puis la Consumerisationl’agilité de l’éditeur est mise à rude épreuve actuellement.

10 – Le modèle partenaires

Il est toujours facile de critiquer le comportement de Microsoft envers ses partenaires, souvent plus exigeant envers qu’avec lui-même, parfois même arrogant. Mais néanmoins, contre vents et marées, ce modèle indirecte perdure, depuis les premiers jours de la société (ou seul le modèle OEM existait).

Malgré les virages technologiques de la société (comme récemment avec le Cloud) les partenaires sont toujours une composante très importante pour Microsoft. C’est très loin d’être parfait, mais force est de constater, que ses principaux concurrents (qui ont le vent en poupe) Apple, Google en tête, n’ont pas de machine équivalente (on peut se demander s’ils ont le souci d’en avoir une, mais c’est un autre débat), pour relayer et démultiplier leurs offres commerciales respectives.

Nouvel épisode en date, le partenariat avec Nokia qui est sans aucun doute une très bonne opération pour Microsoft, sans prévaloir du succès ou non qu’auront ces téléphones.

Passons maintenant aux 10 principaux points faibles

1 – Microsoft a raté le tsunami de la mobilité

Microsoft avait toute les cartes en main pour anticiper la vague d’adoption des technologies mobiles, et pourtant… Il y a dix ans,  Microsoft avait mis au point Windows Mobile (basé sur Windows CE). En 2002 il avait été précurseur avec la tablette PC, mais on connaît la suite : Des rivalités internes, en particulier entre l’équipe Windows et l’équipe de Microsoft Office ont eu pour résultat qu’aucune application phare ne fut réellement adaptée pour ces matériels. Au final, le manque d’applications spécifiques à eu raison de ces machines, plus chères qu’un simple portable, pour une valeur ajoutée non démontrée…

Microsoft aura beaucoup de mal à rattraper Apple et Google au rythme actuel des ventes de téléphones et de tablettes. Un marché en forte croissance de plus de 30% par an. Ecart d’autant plus fort que le marché du PC faiblit.

Si demain les utilisateurs concentrent leurs usages sur les Smartphones et les tablettes, c’est autant d’utilisation en moins du PC traditionnel et au final une moindre dépendance vis à vis des technologies Microsoft. A moins que ce dernier ne se décide enfin à augmenter la cadence dans les développements d’applications sur iPhone et iPad par exemple… Aux dernières nouvelles, il faudra bien attendre 2013 pour avoir un Office sur iPad. Les utilisateurs auront le temps de s’habituer à d’autres outils. (Ceux d’Apple ou de Google par exemple).

2 – Un navigateur en panne

On se souvient de la guerre qui a opposé Netscape à Microsoft sur le navigateur. Internet Explorer est né pour battre Netscape Navigator, à la fois techniquement et commercialement. Le début du procès anti-trust de Microsoft n’a-t-il pas commencé à cette époque ? Internet Explorer avait gagné, il triomphait même en 2001 avec 94% de parts de marchés, c’était l’époque d’IE 6. Depuis c’est la chute, les parts de marchés ont fondu comme neige au soleil, si bien que maintenant, même si Internet Explorer garde une petite avance, c’est grâce aux anciennes versions encore présentes chez bon nombre de clients. Pire, Internet Explorer n’est plus le navigateur de référence chez les développeurs (échaudés il est vrai par les difficultés rencontrées encore à l’heure actuelle pour maintenir des applications utilisant IE6 et son code propriétaire). Il n’y a plus à proprement parler de navigateur de référence mais des navigateurs, en gros Chrome et Firefox principalement (ceux qui à tort où à raison sont le plus conformes au standard en devenir qu’est HTML5).

Le constat est simple : Microsoft n’est plus en mesure d’imposer ses APIs spécifiques dans le navigateur. Lorsque l’on évoque HTML5 comme futur standard des applications clientes, on voit bien que ce n’est ni plus ni moins la suprématie de l’API Windows qui est bel et bien menacée. Le mouvement a commencé avec la montée en puissance des tablettes par exemple.

A qui la faute ? La réponse est assez complexe, mais disons que pendant des années Microsoft n’a pas forcément investi le terrain du navigateur et s’est sans doute un peu endormi sur ses lauriers. On le voit bien, le terrain perdu sera difficile à reconquérir pour l’éditeur, les débuts difficiles d’IE 9 l’attestent. L’objectif « Parts de Marchés d’Internet Explorer » n’a sans doute pas été porté par toute l’organisation. Qui s’en souciait dans des groupes produits qui travaillent largement en silo ?

3 – Toujours une très forte dépendance à Windows 

Les choses n’ont guère changé depuis des années, le chiffre d’affaire, mais surtout le bénéfice de Microsoft, sont toujours très largement dépendant de Windows et bien sûr d’Office. Cela fait peur aux analystes qui jugent que la moindre attaque sur ces deux lignes de produit, le moindre décalage du marché causeraient une forte baisse des bénéfices et donc un risque pour les actionnaires. La baisse des chiffres de vente des PC et le fait que Microsoft ne soit pas, ou peu, présent sur le segment de la mobilité (Smartphones et Tablettes) en forte croissance, renforcent cette crainte. L’adhérence applicative qui diminue vis à vis du PC n’est pas non plus de bonne augure. Ainsi les forces peuvent aussi devenir des faiblesses…

4 – Le client final, pendant longtemps oublié

Son succès, Microsoft le doit aux utilisateurs finaux. Au tout début, dans les entreprises, ce sont eux qui, contre l’avis souvent des directions informatiques, ont imposé les outils Microsoft. La liberté qu’offrait le PC vis à vis de l’informatique centrale et des mainframes en particulier, les utilisateurs l’ont saisi. Petit à petit Microsoft a grandi avec eux. Il fut une époque également où les DSI reprochaient à Microsoft de parler directement avec leurs utilisateurs et de « mettre le feu » chez eux, leur forçant la main pour telle ou telle technologie. On ne parlait pas encore de consumerisation, mais c’était le début.

Microsoft rentra dans le rang, discuta quasi exclusivement avec les « ITPro »  (les professionnels de l’informatique)oubliant au passage un peu l’utilisateur final, laissant  à ses divisions MSN et Jeux le soin de l’adresser. Dommage !  D’autres ont pris alors petit à petit la place de Microsoft : Ils ne nomment Apple, Google, Facebook etc. Pour s’en convaincre, regardez autour de vous combien d’entreprises du CAC 40 ont des iPhone ? Combien n’ont pas de projets « iPad » ? Ont-elles seulement vu une fois un commercial Apple Grands Comptes ? La Consumérisation est passée par là.

Microsoft prend cette direction, et c’est une bonne nouvelle, mais il a un bon bout de chemin à faire pour revenir dans cette course, en particulier en ce qui concerne son image et la perception que peuvent avoir les utilisateurs sur sa capacité d’innovation. La première tentative avec Windows Phone ayant étée (tout au moins jusqu’à maintenant) un échec. Le lancement de Windows 8 l’année prochaine sera sans aucun doute le point d’orgue du recentrage de sa stratégie vers le client final.

5 – Une entreprise qui travaille trop en silos

Le management par objectifs c’est bien mais tout est question ici encore de dosage, de réglage fin. Les objectifs généraux de la société devant rester plus fort dans leur pondération que les objectifs individuels

Ce management par objectifs poussé parfois à l’extrême, le découpage en Business Unit très indépendantes et les rivalités entre personnes qui ne manquent alors pas de survenir, sont sans doute les plus grands maux de Microsoft. Cela se ressent à tous les niveaux, prenez le cas d’une filiale : Qui sont ses concurrents ? Parfois, et trop souvent sans doute, c’est la filiale d’à coté.  Il faut faire mieux que son voisin Microsoft !  Etre citée comme filiale de l’année est le Graal interne (avec des primes à la clé pour les dirigeants).

Coté groupes de développement chez Microsoft Corp, là aussi l’organisation est très segmentée et chacun travaille dans son silo. Exemple sur la concurrence à Dropbox : plusieurs solutions issues de différent groupes sont disponibles mais incompatibles les unes avec les autres : Skydrive qui offre le stockage mais pas la synchronisation (réalisé par les équipes MSN ), Live Mesh (issu des équipes .Net) qui fait de la synchronisation mais qui a un stockage très limité. On peut aussi citer Foldershare issu d’une société rachetée par Microsoft et dont l’usage est resté très confidentiel… En gros Microsoft avait toute les cartes pour faire un concurrent à Dropbox mais a laissé passer l’opportunité du fait d’un manque de concertation entre les équipes.

Par certain côté la société est devenue trop grande, certes toujours en mouvement et plutôt agile mais trop grande. À moins que cela ne soit qu’un manque évident de communication ! Un comble pour l’éditeur d’Exchange, Lync et Sharepoint !

6 – Quid des pays émergents ?

Son succès en France, Microsoft le doit à un outil maintenant oublié –Multiplan– qui fut le premier tableur « localisé » et donc adapté au marché Français. Peu importe si Multiplan fut un échec hors de France, c’est ce produit qui est à l’origine de la création de la filiale française par Bernard Vergnes et peut-être plus encore : ce qui restera une maxime importante pour l’éditeur : « pour réussir dans un pays il faut des produits finement adaptés».

Dans le même ordre d’idée, où sont les produits Microsoft spécifiques ou adaptés pour les pays émergents ? Quels sont les parts de marché de l’entreprise sur ces marchés ? Cette question n’est facile pour aucun acteur informatique, mais Microsoft fort de son expérience n’aurait-elle pas une carte à jouer ? Les tentatives d’OS « plus limité » (essentiellement pour des questions financières) n’ont pas été couronnées de succès.  N’y a-t-il pas la place pour un système spécifique ? La forte dépendance à Windows est en train de diminuer pour tous, pour ces pays aussi demain, l’effet de masse pourrait jouer en faveur ou pas de l’éditeur…

7 –  Une R&D en manque d’inspiration ?

C’est une vérité établie, si Microsoft est une société très présente dans les entreprises, la perception du grand public est celle d’une société dont le caractère innovant appartient au passé.

Les communications de l’éditeur sur ses investissements en R&D n’y font rien. Avec un investissement 5 fois inférieur Apple paraît, aux yeux de beaucoup de consommateurs, comme bien plus innovante.

8 – Management exécutif

Beaucoup de VP (Vice President) emblématiques de Microsoft ont quitté l’entreprise ces derniers mois, souvent pour incompatibilité d’humeur avec d’autres dirigeants de l’entreprise (nous l’avons souvent relayé sur le blog calipia) ou parfois parce qu’il ne partageaient plus la même vision stratégique. Rien de bien alarmant, c’est souvent le cas dans les grosses structures. Mais un Steve Ballmer, qui a souvent voulu ménager la chèvre et le choux (on se souvient du téléphone Kin lancé aux US quelques mois avant Windows Phone 7, Steve Ballmer avait voulu ménager les équipes de Danger, société acquise un an plus tôt par Microsoft : un beau fiasco), n’y est peut-être pas pour rien.

La question de son successeur est maintenant ouvertement posée, à la fois par les analystes (on se souvient des propos de David Einhorn, patron emblématique du fonds d’investissement Greenlight Capital, qui a carrément demandé à Steve Ballmer de « s’écarter pour laisser sa chance à quelqu’un d’autre »…), mais aussi parfois en interne. Ainsi Steve Ballmer avait vu ses propos sur une sortie de Windows 8 en 2012 (le 23 mai dernier) contredits par un porte-parole qui était intervenu pour préciser que ces propos étaient inexacts.

Steve Ballmer n’a plus la cote non plus auprès des employés. Glassdoor qui effectue régulièrement des mesures de popularité des dirigeants d’entreprises en interne, publiait en avril un constat sans appel : Steve était en dernière position avec 40% (voir ci-dessous). Des résultats peu sympathiques, qui ne sont sans doute pas pleinement justifiés. Pour avoir côtoyé Steve Ballmer à l’occasion de  différents meetings clients que nous organisions, le personnage est plutôt très agréable, commercial dans le sang, et bon nombre de situations délicates en clientèle ont trouvé une issue grâce à son énergie et sa volonté. Seulement voilà, Microsoft, en manque dit-on de vision, doit peut-être maintenant changer de leader ?  En tout cas diverses alternatives sont possibles : entre un Steven Sinofsky (Patron tout puissant de Windows), voire un scénario plus alambiqué avec un Stefen Elop revenant de Nokia… Les clés sont une fois de plus dans les mains du patron du conseil d’administration (un certain Bill Gates), qui lâchera ou pas son ami de 30 ans…

9 – La revanche des clients ?

Pendant des années les clients, en particulier les grands comptes ont eu un fort ressentiment vis à vis de Microsoft (à l’époque ou l’éditeur régnait en maître en décidant par exemple de supprimer les mises à jour – le contrat Select 6 – pour ceux qui s’en souviennent). Les clients ont recherché avec insistance des alternatives à l’éditeur, et ce furent les heures de gloire de l’open source et sa montée en puissance. C’est ce que les analystes appellent « La revanche du client« .

Pour résumer, si les clients plébiscitaient de plus en plus les produits Microsoft ils aimaient un peu moins l’entreprise. Même si ce ressentiment a depuis largement disparu, un fond de défiance léger persiste encore, qui amène toujours les clients à se demander ce que cache les divers changements opérés par l’éditeur.

10 – Moins de passion pour la technologie chez les salariés ?

L’histoire de Microsoft s’est construite sur la passion pour la technologie. Cette passion a été pendant de nombreuses années un des moteurs principaux d’adhésion des salariés à l’entreprise. Les employés, comme les dirigeants participaient à une « aventure », qui n’était pas moins que de réinventer l’informatique, ses usages, ses champs d’actions. Aujourd’hui d’autres sociétés se sont identifiées à cette mission.

Aux embauches d’ingénieurs, y compris pour accomplir des fonctions commerciales, ont succédé des commerciaux le plus souvent sortis de grandes « business schools ». Une page est tournée, la raison l’a emporté sur la passion. Il en est de même à la tête de la société…

 

Stéphane Sabbague est Président et co-fondateur du cabinet d’études Calipia. Au travers des activités de Calipia, il anime de nombreuses formations et conférences. Ingénieur de formation, Stéphane a débuté sa carrière chez IBM France, il a occupé ensuite chez Microsoft, durant 11 ans, différents postes ventes et marketing, dont les dernières années celui de Directeur de la division Marketing Produit.

 

Article publié sur le blog de Calipia issu de La Lettre Calipia #83 – Abonnement gratuit sur demande : calipia.com/lalettre

Article issu de La Lettre Calipia #83- Abonnement gratuit sur demande : calipia.com/lalettre