Utilisateur du progiciel comptable Chorus, la Cour des comptes doute que ce PGI sur base SAP puisse servir à tenir la comptabilité de l’Etat dans « un horizon déterminable ». Difficile à avaler pour un projet à 1,1 Md€.


Les années se suivent et se ressemblent. Si la Cour des comptes, organisme certificateur des comptes de l’Etat, a approuvé les comptes de la France pour 2009, elle continue à grommeler sur la qualité des applications informatiques mises à sa disposition. La Cour maintient donc sa réserve sur « les caractéristiques des systèmes d’information financière et comptable de l’Etat » qui limiteraient ses vérifications. Cette réserve est présente dans les rapports sur la certification des comptes de l’Etat depuis 2006. Surtout, la Cour ajoute que « de nombreuses incertitudes demeurent quant à la capacité des nouveaux systèmes à résoudre les difficultés ». Une saillie qui vise directement Chorus, le progiciel comptable de l’Etat sur base SAP en cours de déploiement dans les ministères.

Pire : la Cour estime que « les retards de conception des nouveaux systèmes, au premier rang desquels figure Chorus, ne permettront pas à la comptabilité de l’Etat de franchir une étape substantielle et nécessaire dès 2011 ». Dans un référé envoyé en mars au ministre du Budget (Eric Woerth à l’époque), la rue Cambon estimait déjà qu’elle ne pourrait pas certifier les comptes 2011 de l’Etat dans Chorus. Ce qui était pourtant l’objectif affiché – après un premier retard – de ce pharaonique projet, dont le coût total est chiffré par la Milolf (Mission d’information de la commission des Finances sur la mise en œuvre de la LOLF, loi organique relative aux lois de finances) à 1,1 milliard d’euros. Comme nous l’expliquions dans nos colonnes, selon une source au ministère, ce retard attendu ne concerne pas le déploiement du PGI dans les ministères (tous les ministères devant être raccordés à la v6 pour le 1er janvier 2011), mais plutôt la production des comptes de l’Etat dans Chorus. En cause donc : le calendrier de migration des applications actuelles de production desdits comptes, applications vouées à être remplacées par Chorus.

Interfaces applicatives : les doutes de la rue Cambon

Reste que les critiques des auditeurs ne s’arrêtent pas là. La question des interfaces entre applications en place et le cœur comptable Chorus continue elle aussi à soulever des interrogations. La Cour s’inquiète ainsi des « risques opérationnels » liés à l’interfaçage des applications ministérielles avec le système central en cours de déploiement, en citant plusieurs exemples (application CEP, dédiée à la tenue des comptes de dépôt des correspondants du Trésor, retards de remboursement des frais à l’Education nationale liés à ces mêmes difficultés, retards qui ont d’ailleurs occasionné une grève de certains enseignant cette semaine). Un point déjà maintes fois soulevé dans divers rapports sur Chorus. Tout comme les insuffisances liées à la réorganisation des services, corollaire de la réforme de l’Etat et de la mise en place de Chorus. « Le déploiement de l’outil au plan local s’effectue dans le cadre d’une organisation et de circuits de gestion mal stabilisés, ne disposant pas d’un corps de procédures de contrôle préalablement testées et tenues à jour », explique le rapport sur la certification des comptes 2009.

Tant et si bien que la Cour en vient à douter que l’arrivée de Chorus (pour la certification des comptes de 2012 au mieux donc) puisse gommer les difficultés qu’elle rencontre avec la multitude de systèmes que le PGI est appelé à remplacer. « Le paramétrage de Chorus et l’insuffisant avancement des travaux de conception de son cœur comptable font peser un risque majeur sur sa capacité à tenir la comptabilité générale de l’Etat à un horizon déterminable », martèle la rue Cambon, qui est pourtant un des utilisateurs clefs du nouveau système. Bref, la Cour n’est plus très sûre qu’elle puisse auditer un jour quoi que ce soit dans Chorus !

Guerre larvée entre DGFiP et Cour des comptes


Pour un bon connaisseur du projet, s’exprimant sous couvert d’anonymat, cette façon de crier au loup masque surtout des enjeux de pouvoir entre administrations. « Contrairement au volet concernant la mise en place de la LOLF (Loi organique sur les lois de finance), celui concernant
le développement d’une comptabilité patrimoniale dans Chorus (qu’attend la Cour des comptes pour son audit des comptes de l’Etat, NDLR) n’a pas fait l’objet d’une réingénierie des processus. L’organisation comptable est bancale ». Ce qui serait à l’origine du retard déploré par la rue Cambon. Idem sur le plan métier, notamment sur les plans de comptes, où là non plus, le travail de redéfinition des processus n’aurait pas eu lieu. Résultat : comme elle le signale dans son rapport, la Cour contrôle 35 millions d’écritures, dont 22 ne concernent que des transferts entre comptables sans intérêt pour ses audits des comptes publics. Pour notre interlocuteur, « la Cour essaie de faire plier l’AIFE (Agence pour l’informatique financière de l’Etat), qui de son côté s’en remet aux indications de sa maîtrise d’ouvrage sur ces sujets, la DGFiP (Direction générale des finances publiques, NDLR). Or, cette dernière ne change rien pour l’instant aux règles et processus en vigueur. Les critiques contre Chorus permettent d’éviter un conflit frontal entre Cour des comptes et DGFiP ». Bref, Chorus serait un putching-ball bien pratique.

Retards de paiement à la Défense : le mea culpa de Baroin

Rappelons que, après avoir essuyé bien des critiques depuis deux ans – essentiellement sur ses coûts -, le progiciel comptable a été dernièrement montré du doigt comme le responsable des retards de paiement au ministère de la Défense. A la clef, plusieurs centaines de millions d’euros d’impayés pour ce ministère qui, chaque année, investit entre 10 et 15 milliards d’euros. Pour notre interlocuteur, ce retard provient avant tout du chantier de reprise des données : « celui-ci a pris 6 mois de retard à la Défense, retard jamais rattrapé ».

En marge de sa présentation au conseil des ministres du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2009 – exercice synchronisé cette année avec la publication de l’audit de la Cour des comptes -, François Baroin, ministre du Budget, a d’ailleurs reconnu les difficultés nées de la mise en place du progiciel intégré. « Chorus avait pour objectif de réduire cela (les délais de paiement, NDLR). Il faut évidemment qu’on progresse. C’est intenable d’avoir un langage vis-à-vis de l’extérieur et de ne pas se l’appliquer à soi-même », a-t-il expliqué selon nos confrères de Reuters. Un premier mea culpa du gouvernement sur ce logiciel qui fait grincer des dents dans quasiment tous les ministères. Le prédécesseur de François Baroin, Eric Woerth, avait, lui, toujours défendu bec et ongles le projet.

En complément :

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– Pour la Cour des comptes, le pharaonique projet Chorus sera en retard

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