Les annonces successives d’Amazon Web Services et Microsoft Azure, de localiser leur service de Cloud public en France dès 2017 suscite un énorme intérêt de l’écosystème IT. La plupart voient dans l’intention des numéros un et deux mondial du Cloud public d’opérer localement un signe extrêmement positif pour le marché français de l’informatique en nuage en général et pour leur business en particulier, y compris les fournisseurs de services cloud locaux qui pourraient pourtant légitimement s’inquiéter. « Leur arrivée sur le sol national est signe que AWS et Microsoft sentaient tous les deux un potentiel business, décrypte Anthony Sollinger, le fondateur et CEO de CloudScreener, spécialisé dans la surveillance des performances du Cloud. Cela confirme la progression du marché que nous sentions tous depuis 12 à 18 mois  ». De fait, tous les prestataires que nous avons interrogés en sont convaincus, en installant leurs datacenters sur le territoire français, AWS et Microsoft répondent à une attente du marché ou plutôt à un faisceau d’attentes, notamment de conformité, de performance, de prix et de proximité des données.

AWS et Azure attendus par le marché français

Collectivités et administrations sont ainsi tenues de se conformer à une circulaire de la fin mai signée du directeur général des collectivités locales et du directeur chargé des archives de France précisant que l’hébergement des données administratives doit obligatoirement être localisé sur le territoire français. « Dans le cas de la santé, la réglementation est également très claire et impose une localisation des données de santé sur le territoire chez un hébergeur ayant eu l’accréditation HDS (Hébergeur de données de santé) », rappelle pour sa part Thierry Rolland, DG d’Exakis. Quant aux OIV (opérateurs d’importance vitale), notion qui englobe certaines grandes administrations (Défense, Justice…) mais également certaines industries privées (Energie, Gestion de l’eau, Communications électroniques…), la législation leur impose là encore, outre des certifications liées à la protection des données, une localisation de leurs données en France. « Certes, en dehors des OIV et de certaines activités bancaires, le secteur privé est de moins en moins sensible à la localisation des données. Mais il subsistait de très nombreuses réticences de la part des collectivités et administrations liées à ces problématiques de conformité », explique Thierry Rolland.

Au-delà de la conformité, l’arrivée d’AWS et d’Azure devrait être synonyme de meilleures performances. « Même si les données transitent à la vitesse de la lumière dans les fibres optiques, il faut, depuis Paris, un peu moins de 10 ms pour aller jusqu’à Francfort et un peu plus pour aller à Dublin – qui sont les deux points d’implantation actuels des datacenters d’AWS en Europe, rappelle Maxime Kurkdjian, co-fondateur et directeur d’Oxalide. Or dans le web, chaque milliseconde compte. En rapprochant les infrastructures d’AWS et de Microsoft des infrastructures des clients, on gagne ces millisecondes qui viendront booster la performance des sites web et des applicatifs ».

Julien Coulon, directeur associé de l’aiguilleur du Net Cedexis est du même avis : « l’impact sera positif sur les performances sans aucun doute. Plus le contenu est proche des utilisateurs, plus la disponibilité et les performances sont bonnes. Tous les éditeurs de contenus cherchent à améliorer leurs performances : media, e-commerce… » En revanche Anthony Sollinger est plus sceptique. « Oui, on peut s’attendre à une légère amélioration des performances. Mais AWS et Microsoft avaient déjà investi dans des technologies pour gommer cet effet distance en disposant chacun de plusieurs points de présence (POP) sur le territoire national. »

« On peut s’attendre à des effets positifs sur les prix »

Même scepticisme de la part de ce dernier sur les tarifs. « Il n’est pas certains que l’impact de l’implantation physique d’AWS et de Microsoft en France soit bénéfique sur les tarifs. Si l’on prend l’exemple de Softlayer (IBM), qui s’est implanté physiquement en France il y a deux ans, les tarifs étaient 6% plus chers qu’en Hollande, siège de ses opérations européennes jusque-là. Softlayer n’a pas justifié ce surcoût mais il peut y avoir de multiples raisons : marketing, coûts salariaux, coût de l’énergie… » Julien Coulon est plus optimiste : « La politique des grands fournisseurs de Cloud est d’avoir les mêmes structures de prix partout dans le monde. Et les lois du marché montrent que plus il y a de concurrence sur un marché, plus les prix baissent. On peut donc s’attendre à une baisse des prix. » Thierry Rolland, est sur la même ligne : « il suffit de constater le delta de coût entre les clouds français et ceux de ces deux grands acteurs, pour en déduire que l’impact ne pourra être que positif et que les prix vont baisser. »

« Le principal élément qui peut faire varier le prix du Cloud entre la France et l’étranger est le prix de l’électricité, analyse Maxime Kurkdjian. Or en France, il est plutôt faible par rapport à nos voisins. Donc peut-être que nous aurons une bonne surprise sur les tarifs. Autre élément pouvant impacter les prix à la baisse : les liens d’interconnexion entre les cloud publics et les infrastructures sur site des clients (DirectConnect chez AWS par exemple). L’infrastructure étant plus proche, le prix de l’interconnexion sera diminué. Cependant, concernant AWS, il est probable que la politique tarifaire sera adaptée pour limiter un effet migratoire trop soudain depuis Dublin ou Francfort vers Paris. »

La localisation des données : une préoccupation des DSI

Enfin, même s’il s’agit d’un aspect purement psychologique, la proximité des données joue un rôle important dans les décisions des clients. « À tort ou à raison, la proximité des données rassure toujours », note Stéphane Fitoussi président de société de services pure player Microsoft vNext. « Les entreprises ont toujours une certaine forme de peur qui augmente exponentiellement avec l’éloignement de leurs données, renchérit Maxime Kurkdjian. C’est irrationnel, mais c’est rassurant de savoir que ses données sont en banlieue parisienne, plutôt qu’en Irlande ou en Allemagne ».

L’implantation de datacenters en France opérés par AWS et Microsoft Azure devrait donc permettre à ces acteurs assujettis à des contraintes de localisation des données d’accéder à des clouds qui leur étaient jusque là interdits ou déconseillés. « Certains établissements hospitaliers mettent en œuvre des architectures très complexes pour distinguer les données Santé des données « standards » des données sensibles, afin de pouvoir bénéficier des services du Cloud Microsoft, note Thierry Rolland. Et, malgré les conseils et orientations des ministères, de nombreuses collectivités (Grandes villes, métropoles, Conseil régionaux, Conseils généraux), ont confié à Exakis la migration vers Office 365 ». Autant de preuves selon lui que le Cloud Azure est particulièrement attendu dans le secteur public.

Toutefois, cette assertion doit être nuancée. AWS et Azure ne convaincront que s’ils sont en mesure de garantir « l’hermétisme » de la plaque Europe, prévient Stéphane Fitoussi. « AWS et Microsoft sont des sociétés américaines, soumises au Patriot Act, qui prévoit explicitement l’extra-territorialité de ses dispositions, rappelle Philippe Clémente, directeur avant-vente France de Cheops Technology : si une agence américaine exige d’AWS ou de Microsoft la fourniture de données d’un client français hébergé dans son DC français, cette société ne peut pas s’y opposerLa seule vraie protection, c’est le contrat de droit français avec une société française hébergeant les données sur le sol français ! Ce que rappellera très certainement la future norme de l’ANSSI pour les données des établissements publics. » « Héberger ses données en France est une chose, mais même si AWS et Azure remplissent toutes les conditions du point de vue de la souveraineté des données, il reste un flou lié au Patriot Act, convient Anthony Sollinger. Un flou source d’incertitude. »

Tous les doutes liés au Patriot Act ne sont pas levés

« Tout dépend du niveau d’exigence des clients, estime Maxime Kurkdjian. Certains acteurs du Cloud ont des conditions d’utilisation assez floues et s’autorisent à déplacer les données en dehors de leur zone d’hébergement pour des raisons techniques. Cependant, là encore, des acteurs comme AWS et Microsoft comprennent que ces flous ne contribuent pas à la confiance, et limitent leur business. Leur environnement contractuel évoluera naturellement vers plus de clarté quand ils auront les offres adéquates. »

« Je suis persuadé que Microsoft réalisera les investissements nécessaires aux certifications indispensables et sera en mesure de délivrer un service de très haut niveau pour le secteur public français, témoigne Thierry Rolland. Sans pouvoir vous donner de chiffres précis, j’ai eu le plaisir d’échanger avec de nombreux partenaires et directeurs Microsoft à l’étranger qui ont pu apprécier un décollage très rapide sur ces secteurs dès le déploiement de datacenters Microsoft dans leur pays. Donc, sur la base de notre expérience dans les secteurs des collectivités et de la santé et sur la base des retours d’autres régions du globe (Australie par exemple), je suis très optimiste sur une adhésion rapide du secteur public au Cloud Microsoft. »

Des partenaires qui n’attendaient que ça pour accélérer

Au final, la plupart des acteurs que nous avons interrogés voient dans l’arrivée d’Azure et d’AWS en France une opportunité. « Tout ce qui participe à accroître l’utilisation des infrastructures Cloud va dans le sens de notre business », assène Gilles Mergoil, président-fondateur de la société de services spécialisée Cloud Neoxia. « C’est une grosse opportunité pour nous, assure Gilles Knoery, directeur général de l’intégrateur et infogéreur Digora, spécialisé dans les environnements Oracle. Cela va faciliter la diffusion de nos offres et services auprès de nos clients. »

« Pour Exakis, l’implantation locale de Microsoft Azure et Office 365 est plus qu’une opportunité, nous l’attendions, se félicite Thierry Rolland. Les scénarios et plan de commercialisation sont dans les cartons et nous sommes prêts à promouvoir ces services auprès de tous nos prospects et clients. » « Pour Cedexis, c’est une excellente nouvelle. C’est un signal fort invitant les éditeurs à monter dans le Cloud », note Julien Coulon.

« Nous avons résolument tourné notre stratégie autour du Cloud public, et plus précisément d’AWS car nous sommes convaincus de l’apport de valeur que celle-ci représente pour nous et nos clients, confirme Maxime Kurkdjian. Point de devOps sans infrastructure agile ! Nous étions frustrés de ne pas pouvoir accompagner certains clients sur le Cloud public à cause de contraintes de conformité. Cet obstacle va bientôt tomber, et nous pourrons ainsi adresser encore plus de clients grâce au Cloud public. Enfin nos clients les plus exigeants sur leur performance Web vont aussi pouvoir sereinement utiliser AWS sans être pénalisé par l’aller-retour vers Dublin. Donc c’est une très bonne nouvelle pour Oxalide et ses clients. »

« Notre premier souci est aujourd’hui de répondre à la demande », estime pour sa part Olivier Pigois, PDG d’ABC Systèmes et Formation.

Même Philippe Clémente, dont la société a investit massivement dans le Cloud, ne se sent pas menacé par les arrivées d’AWS et de Microsoft : « elles confortent notre stratégie d’accompagner nos clients dans le placement des bonnes applications et des bonnes données dans les bons clouds : les grands clouds mondiaux de type Azure pour profiter de la richesse fonctionnelle du catalogue IaaS et Paas, et favoriser ainsi l’innovation ; les clouds français de type iCod, conformes tant du point de vue réglementaire que des engagements de service, pour sécuriser les applications critiques. »

Vers une consolidation parmi les acteurs français du Cloud ?

Mais s’ils voient dans l’installation des clouds AWS et Azure une opportunité pour leur propre business, beaucoup de prestataires de clouds pensent que les fournisseurs de services clouds nationaux vont y perdre. « Ils ne sont pas encore au niveau d’AWS ou d’Azure en termes de performances-prix, de qualité, de profondeur d’offre », estime Gilles Mergoil, qui prédit une consolidation parmi les acteurs français du Cloud. Mais certains pourraient toutefois tirer leur épingle du jeu. « La concurrence est très rude dans le secteur, constate Maxime Kurkdjian. En s’implantant en France, les géants américains viennent de faire tomber un argument de poids des acteurs nationaux. Il faudra maintenant que ces derniers se positionnent sur le critère important : l’innovation. La concurrence sera saine pour les acteurs les plus innovants. »

« Il est clair que cela ne doit pas être une bonne nouvelle pour les hébergeurs et clouds français, déclare Julien Mouton. Ceci dit, la grande majorité a anticipé cette arrivée et commence à proposer des offres hybrides (avec une partie des applications sur leurs infrastructures et un débordement vers le cloud) ou des services d’intégration d’applications sur différents clouds. » « De nombreux clients de petites tailles ne vont pas chercher le Cloud pour réduire leurs coûts de possession mais pour externaliser les fonctions de gestion, juge Thierry Rolland. Ils privilégient les services fournis par des acteurs de confiance et de proximité. Pour ces usages, les « petits » clouds actuels vont perdurer. Le vrai challenge à relever va concerner les grands acteurs du Cloud français qui vont devoir se distinguer, développer des solutions innovantes et développer des solutions sectorielles pour rester en vie. »