Des faussaires usurpent les identités de sociétés IT françaises, de préférence bien portantes, au préjudice de fournisseurs le plus souvent étrangers. Les détournements se comptent en centaines de milliers d’euros.

 

Depuis le mois de février, une bande de faussaires usurpe l’identité de sociétés IT françaises pour passer des commandes frauduleuses auprès de fournisseurs le plus souvent situés à l’étranger. Une bonne demi-douzaine de sociétés nous ont confirmé avoir été confrontées aux agissements de ce réseau, parmi lesquelles les grossistes Germond SA, Best’Ware, Newcom Distribution, Immotique Distribution, les revendeurs Cybertek et Conectis et l’éditeur Eric Archivage.

 

Le site channelPartner, qui a révélé l’affaire (relayé par le site ITDistri), cite également parmi les raisons sociales usurpées, celle de la filiale française du japonais Riso. De même, Netapp France figure au rang des sociétés dont le site a été détourné selon les mêmes procédés employés pour les entreprises pré-citées. Ses portes-parole assurent toutefois n’avoir connaissance d’aucune usurpation d’identité les concernant. Reste qu’il ne s’agit probablement que de la partie émergée de l’iceberg.

Ce qui interpelle d’emblée, ce sont les montants en jeu. Ainsi, la société Newcom Distribution, l’une des sociétés dont l’identité a été le plus détournée, a été informée par son assureur-crédit qu’elle était prétendument redevable d’au moins quatre factures dont les montants varient entre 20.000 € à 80.000 €. Le revendeur bordelais Cybertek a lui aussi été destinataire d’au moins trois ou quatre factures (ou plus exactement relances) de 20.000 à 30.000 € qu’il n’a pourtant jamais sollicitées.

 

Un mode opératoire bien huilé

Le mode opératoire est toujours le même : les faussaires repèrent des sociétés IT françaises, suffisamment importantes et bien portantes pour bénéficier d’encours généreux auprès des assureurs-crédit. Puis ils siphonent leur site Web qu’ils réinjectent sur un nom de domaine proche de l’original ou prêtant à confusion qu’ils ont pris soin de réserver à l’avance.

Dès lors, ils contactent par mail des fournisseurs et des grossistes, le plus souvent étrangers, en se faisant passer pour des salariés des sociétés dont ils ont détourné l’identité. Ils demandent à ouvrir un compte en fournissant de faux documents (extrait Kbis, déclaration de TVA, RIB, voire carte d’identité…) et passent une première commande payable à 30 jours.

Jusqu’à 100.000 € de commandes qui disparaissent dans la nature

Rassurées par les faux documents (pourtant grossiers pour ceux qui les ont vus), les faux bons de commande, les fausses adresses mails associées au nom de domaine détourné, les encours plantureux garantis par les assureurs-crédit, et malgré les adresses de livraison bidons correspondant à celles de transitaires chargés de la réexpédition (généralement vers le Mali), certaines victimes se sentent suffisamment en confiance pour laisser partir jusqu’à 100.000 € de marchandises.

C’est le cas par exemple du grossiste polonais Komputronik qui a livré pour 98.000 € de clés USB, disques durs, PlayStations, téléphones mobiles, balckberry et autres matériels HP à un transitaire parisien en avril dernier sur la base d’un faux bon de commande du grossiste en téléphonie Immotique Distribution.

 

Des autorités qui semblent démunies

Les autorités semblent démunies face à cette escroquerie, comme nous l’ont confirmé les sociétés que nous avons contactées. « C’est à peine s’ils ont pris notre plainte, témoigne le patron de l’un d’eux. Et lorsque je leur ai demandé s’ils avaient avancé dans leur enquête, ils m’ont répondu que de toute façon, ils n’avaient pas Internet ». Il est vrai que le préjudice est faible pour ces dernières, les principales victimes étant les fournisseurs qui ont laissé partir de la marchandise sans espoir d’être payés un jour.

Que les autorités soient ou non sur leur piste semble ne pas inquiéter le moins du monde les escrocs, les tentatives de détournement ayant tendance à se multiplier. Laurent Chancholle, pdg de Cybertek, affirme ainsi avoir reçu en quelques semaines plus d’une vingtaine d’appels de fournisseurs que les faussaires ont essayé de berner en son nom. Pierre Kranowsky, pdg de Newcom Distribution, a rencensé pour sa part une trentaine de tentatives, dont certaines très récentes, y compris auprès de fournisseurs français (dont OpenStorage, Electrocom ou Acel Genesys). « Ils sont tellement sûrs de ne pas être identifiés, qu’ils continuent de répondre au téléphone encore ces jours-ci », note désabusée une victime.

Reste que beaucoup craignent que cette affaire ne finisse par ternir leur réputation, notamment auprès des assureurs-crédit. « À priori, en acceptant de livrer sans paiement comptant à la première commande au mépris des règles de l’art en matière de commerce, les fournisseurs arnaqués sont seuls responsables de leurs déboires », se rassure Laurent Chancholle. Certes. Mais certains risquent de ne pas le reconnaître facilement et de faire durer longtemps les contentieux.