À l’heure où les économistes s’inquiètent de la tendance déflationniste des prix en France, les professionnels de l’IT doivent au contraire faire face à une hausse aussi soudaine que brutale des prix.

Dans une industrie qui reste archi-dominée par les américains, cette hausse est bien entendu une conséquence directe de celle du dollar qui s’est renchéri de 10% depuis la mi-décembre, et même de 20% depuis l’été dernier. Une situation que la profession n’avait plus connue depuis l’automne 2008 lorsque le dollar était remonté de plus de 20% en trois mois.

Des répercussions disparates sur les prix

Les répercussions de cette hausse du dollar sur les prix sont néanmoins disparates selon les segments de marché et les produits considérés. Sur les matériels vendus en volumes et en mode transactionnel, notamment les PC et les petits serveurs, la hausse est encore à peine sensible. Mais elle s’installe progressivement. La plupart des constructeurs l’ont contenue jusque-là en raison du décalage existant entre la production et la mise sur le marché effective. D’autant que depuis novembre, anticipant le mouvement haussier, la plupart des constructeurs ont encouragé les grossistes à stocker plus qu’à l’accoutumée en leur faisant miroiter l’opportunité de booster leur rentabilité si la hausse se confirmait.

Mais début février, il a fallu se résigner à monter les prix. Toutefois, chacun y va progressivement : « tout le monde s’observe », confirme Didier Halbique, directeur commercial de la division produits de Fujitsu France. Ainsi chez Fujitsu, on s’est limité à des hausses de 3% à 5% sur un nombre limité de références de postes de travail en février et environ 5% en mars sur les nouvelles références de serveurs. « Les petits clients ne vont pas ressentir de hausse brusque », explique-t-il.

Une hausse lissée dans le temps

D’autant qu’une partie de la hausse va être compensée par la baisse naturelle des prix. Et les constructeurs devraient faire en sorte d’en atténuer les effets en redoublant d’efforts sur les offres promotionnelles. Ainsi, pour amortir un peu l’impact de cette hausse, Dell vient de lancer un financement à taux zéro sur toute sa gamme PC-portables en plus du financement existant sur ses serveurs et systèmes de stockage. Cette offre sera valable jusqu’au 30 avril. Du coup, la hausse devrait se lisser dans le temps et rester relativement indolore.

En revanche pour les grands clients qui fonctionnent en appels d’offre ou pour ceux qui contractent en mode projet,  l’impact de la hausse est déjà sensible. « L’impact de la hausse brutale de mi-décembre est évident sur nos cotations qui ont augmenté d’environ 15% depuis novembre », témoigne Patrick Heintzmann, président du VAD Zycko France. Même tonalité de la part de Raphaël Ducasse, dg associé d’Evea Group, « retrouver les niveaux de prix sur des offres faites en fin d’année dernière pose déjà problème, mais sur les nouvelles offres, l’impact est visible immédiatement. »

Veeam s’est engagé à maintenir des prix à peu près constants en euros

Cela dit, cela dépend des fournisseurs. Les éditeurs, par exemple ont beaucoup plus de marges de manœuvre. À l’image de Veeam qui s’est engagé à faire évoluer ses tarifs en dollars régulièrement pour maintenir des prix à peu près constants en euros, selon Stéphane Deliry, directeur général d’Avnet France. Quant à Olivier Brasa, directeur général du VAD Mémodis, il souligne que le jeu des cotations fausse les comparaisons. Sur les marchés valeur, tels que le stockage, les remises sur les prix publics atteignant courramment 60 à 70% sur les logiciels et 40 à 50% sur les matériels. Du coup, la marge de manœuvre est plus grande pour absorber une hausse qui est de toute façon « difficile à répercuter instantanément ».

Cette difficulté à relever les prix Raphaël Ducasse la constate également : « les constructeurs/editeurs et leurs intégrateurs vont sans doute essayer de relever les prix, mais ce n’est pas sûr que la pression des clients le permette ». Le risque bien-entendu est que les budgets des clients étant déterminés en euros, c’est leur pouvoir d’achat qui soit altéré », comme le note Alexandre Brousse, directeur channel de Dell. Selon Didier Halbique, il est difficile de prévoir les effets à moyen terme du renchérissement des prix . Il se peut qu’à budget constant, les clients réduisent leurs investissements en matériel. Ils peuvent aussi faire des arbitrages au détriment d’autres postes (services, logiciels) en considérant que le matériel est prioritaire.

Ce n’est pas sûr que les clients permettent aux prix de véritablement remonter

En tout cas, pour lui, comme pour Alexandre Brousse, il est important que les revendeurs anticipent bien le phénomène : ils doivent savoir jusqu’à quand un prix est valable et bien expliquer aux clients finaux la mécanique de la hausse. « On a beaucoup appris de 2008, où on s’est retrouvé dans des situations de blocage faute d’avoir suffisamment anticipé », rappelle Didier Halbique. Une nécessité d’autant que chez Fujitsu comme chez Dell on s’attend à ce que l’euro revienne à parité du dollar d’ici à la fin de l’année, entraînant de nouvelles hausses de prix ou à tout le moins le maintien de la pression à la hausse.

Mais pour Didier Halbique, cette remontée du dollar a au moins une vertu : montrer aux clients que la baisse des prix n’est pas inéluctable dans l’IT. Il encourage même ses partenaires à mettre cet épisode à profit pour renégocier leurs contrats avec leurs clients et de là remonter leurs marges.