Dans le poker menteur auquel se livrent les grands de l’IT pour se dépeindre en leader du Cloud, l’une de leurs techniques préférées consiste à débaucher à prix d’or les supposés spécialistes Cloud des concurrents. Nous relayons ici le coup de gueule d’un cadre de l’un de ces leaders de l’IT, bon connaisseur des arcanes de son entreprise et de celles de ses concurrents.

Avec l’avènement du Cloud, les positions dominantes d’hier sont battues en brèche. « Le Cloud est en train de redistribuer les cartes dans l’IT comme la libéralisation les a redistribuées dans les télécoms au début des années 2000 ». Tous les grands de l’IT, leaders sur des marchés oligopolistiques où ils pouvaient se permettre de tordre le cou de leurs clients, tentent désormais de se faire passer pour les leaders du Cloud.

Un nouvel eldorado qu’ils présentent comme un marché mature sur lequel ils réaliseraient déjà une part significative – sinon la majorité – de leurs revenus, avec des équipes naturellement nombreuses, formées et expérimentées. « On assiste de la part des leaders de l’IT à un véritable poker menteur sur leurs résultats, leurs ressources disponibles et leur courbe d’expérience en matière de Cloud ». Mais pour accréditer cette présentation des faits, ils ont besoin de faire croître le volume de leurs ressources Cloud. « Ce qui entraîne une surchauffe sur tous les profils au contact de la ligne de front du Cloud, et notamment sur les architectes Cloud ».

Comme il faut être agile, pas question de former en interne des profils qui, de toute façon, passeraient à la concurrence. Le plus rapide c’est encore d’aller les chercher en externe. Certains acteurs n’hésitent pas à récupérer les noms des collaborateurs de leurs concurrents impliqués sur des projets Cloud pour les débaucher à grands renforts de surenchère salariale. « Les bonus de rémunération atteignent courrament 20 à 25% et peuvent aller jusqu’à 40% ». Partout, on enregistre une accélération de la mobilité sur ces profils.

En attirant les meilleurs talents supposés de leurs concurrents, « les employeurs espèrent introduire un biais de différenciation au détriment de ces derniers et prouver ainsi à leurs clients qu’ils sont les mieux armés pour le Cloud ». « Voyez comme je suis légitime : j’attire les meilleurs spécialistes Cloud de mes concurrents », semblent-ils dire. Puisqu’on ne regarde pas à la dépense, on exige cinq à sept ans d’expérience sur des technologies qui émergent pourtant à peine. Et comme on ne s’informe pas vraiment de savoir si ces compétences sont certifiées ou non, certains candidats n’hésitent pas à déformer quelque peu la réalité pour se présenter comme des architectes. On peut ainsi le devenir en quelques mois, au gré des opportunités et des projets.

« Dans cette vallée de la mort que traversent les leaders de l’IT, face à cet immense chantier de transformation auquel ils sont confrontés, on a l’impression qu’ils s’en remettent à des salariés magiques qui semblent à tort ou à raison plus en avance que les autres. Faute de gagner des parts de marché par leurs produits, on dirait qu’ils essayent de faire la différence en jouant la surenchère sur les hommes ».

Paradoxalement, cette trop grande libéralité sur le recrutement masque des structures de coûts ultra-contraintes en interne. « Ces 20% d’augmentation que l’on offre à l’avant-vente d’un concurrent prétendant avoir des compétences en architecture Cloud, on les refuse en interne à des collaborateurs expérimentés qui sont pourtant très proches du statut d’architecte et parfois hautement employables ». Pire, on s’arrange pour se débarrasser à la dérobée de ces collaborateurs expérimentés qui n’ont pas eu l’opportunité ou l’opportunisme d’accrocher le label Cloud à leur CV, en profitant des plans sociaux qui se succèdent – comme chez Oracle – ou en les licenciant pour insuffisance professionnelle.