Pour de nombreuses entreprises françaises, le Cloud c’est déjà une réalité. Mais une grande majorité d’acteurs traditionnels de la distribution (VARs, revendeurs, intégrateurs…) reste encore sur le quai de la gare faute d’avoir su s’insérer dans ce nouveau modèle pas si facile à appréhender. C’est en tout cas le constat d’un grand nombre d’experts et de fournisseurs que nous avons interrogés. L’un d’eux n’hésite pas à déclarer que le Cloud est en train du tuer le channel.

On ne vend pas du Cloud comme on vend du matériel informatique ou des licences logicielles

Contrairement à ce qui leur avait été suggéré dans un premier temps, difficile de faire marcher un business Cloud sans l’adosser à un business existant basé sur un modèle traditionnel… « Vendre du Cloud pour du Cloud ne fonctionne pas », estime le patron d’un intégrateur spécialisé dans les solutions de gestion documentaire, qui a voulu créer une filiale dédiée et qui s’y est brulé les ailes. Aujourd’hui, il voit plutôt le Cloud comme « une alternative ou un complément aux solutions sur site que l’on propose en fonction des besoins des clients et de leur budget. »

D’une manière générale, inutile d’espérer gagner sa vie en se contentant de relayer les solutions cloud opérées par d’autres. Les fournisseurs traditionnels exhortent les revendeurs à promouvoir leurs solutions cloud mais en leur concédant des marges insuffisantes pour rentabiliser leur effort commercial. « Que ce soit pour des solutions sur site ou dans le Cloud, les frais commerciaux sont comparables. Or, il faut en général il faut 8 à 10 ans pour récupérer sur un produit SaaS la marge que l’on aurait faite sur le produit sur site équivalent. Sans compter qu’on ne vend quasiment plus de matériel puisque tout est hébergé », poursuit notre intégrateur spécialisé dans les solutions de gestion documentaire.

Des marges déraisonnables

Les fournisseurs l’admettent implicitement en disant que c’est sur le long terme que les partenaires gagnent. On saluera sur ce point l’initiative de l’éditeur Simple CRM qui vient d’annoncer qu’il accorderait désormais 75% de remise à ses partenaires sur les revenus générés la première année. Ce délai de 8 à 10 ans est d’autant plus déraisonnable que les fournisseurs ont tendance à « omettre de protéger les revendeurs qui effectuent la première vente », constate notre interlocuteur. Il suffit alors à un « mercenaire » ou même à l’éditeur en direct de faire une offre plus alléchante au moment du renouvellement annuel pour récupérer un parc à bon compte. Microsoft est souvent critiqué pour ce problème.

« Seuls ceux qui sauront développer des services managés pertinents autour des briques de base mises à leur disposition par les fournisseurs, s’en sortiront », estime Michel Rathier, Directeur général d’Altix Solutions. « À l’avenir, on ne gagnera plus d’argent sur la distribution de logiciels mais sur la diffusion de solutions métiers exploitant des plateformes standards (type Microsoft SharePoint) et sur la fourniture de services de deuxième génération (conseil, paramétrage, infogérance…) », exposait Lenny Vercruysse, directeur général du revendeur Avenao, maison mère de la société de conseil Be Cloud, spécialisée dans les solutions Cloud, dans une interview en 2014. « Une société comme Be Cloud a parfaitement compris comment intégrer sa valeur ajoutée aux offres SaaS qu’elle relaie. Elle pratique en quelque sorte le « conseil as a service » en intégrant à des offre Office 365 classiques des packs de services intégrant le conseil, l’implémentation, la formation, qu’elle présente comme une sorte d’assurance », commente Colin Lalouette, patron du comparateur de services SaaS Cloud is Mine.

Au-delà de la rentabilité et de l’idée de départ, il y a la difficulté de l’exécution. « Beaucoup de prestataires IT ont une vision juste mais peinent à la mettre en œuvre », explique un consultant connu pour ses séminaires de motivation des forces commerciales. Car souvent, « pour passer d’un modèle basé sur une informatique sur site à un modèle où tout est externalisé, il faut tout changer en interne ». Ce que confirme Lenny Vercruysse : « On est face à des clients qui savent exactement ce qu’ils veulent et cherchent les bons spécialistes qui les feront avancer dans leurs projets. C’est pourquoi on investit de plus en plus sur nos techniciens de telle sorte qu’ils soient à la fois bons en avant-vente et bons en conduite de projets. L’importance du commercial décline. Ce qui importe désormais, c’est d’avoir des savoir-faire et de le faire savoir ».

Les leads ne sont pas traités correctement

Même son de cloche de la part du patron d’une société spécialisée dans l’accompagnement des revendeurs dans leur transition vers le modèle Cloud. « Beaucoup de ceux qu’on a déjà accompagnés n’ont pas les résultats attendus. Or on s’aperçoit que les leads qui leur sont adressés par leurs fournisseurs ou par les cellules de détections de projets ne sont pas traités correctement par leurs commerciaux. En réalité, leurs plans de commissionnement ne sont pas adaptés et ils n’ont pas les bons arguments pour leurs propositions de valeur ».

En se proclamant tous Cloud compatibles, les constructeurs et les éditeurs ont ajouté à la confusion des revendeurs traditionnels. D’autant que les échecs des clouds souverains, les piètres résultats des plateformes d’agrégation Cloud des grossistes ou le retrait retentissent de HP du marché du Cloud public ne sont pas faits pour les rassurer. « Trop d’offres cloud, trop d’acteurs, trop peu de compétences réelles chez les fournisseurs », proclament les VARs, revendeurs et distributeurs dans notre dernier baromètre de conjoncture.

La baisse généralisée des remises sur les matériels et les licences et l’absence de considération les grands pure players Internet (Salesforce, Amazon, Google…) les incitent à s’ouvrir à d’autres acteurs (éditeurs, opérateurs alternatifs…), plus souples dans leurs relations avec le channel et à taille plus humaine. « Devant la prolifération d’offres disponibles, les parts de marché vont se diluer et les fournisseurs pourront difficilement éviter de réduire aussi leurs équipes », pronostique un observateur avisé. En ne faisant pas tout pour préserver leur réseau de distribution historique, les fournisseurs traditionnels risquent bien de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Et il n’est pas certain que les nouveaux prestataires de proximité qui émergeront sur leurs dépouilles seront autant acquis à leur cause.