Quand un spécialiste de l’hébergement et de l’infogérance d’applications Web critiques rachète un spécialiste du Cloud public, forcément, ça interpelle. Nous avons demandé à Olivier Beaudet, directeur général de Claranet France, de nous éclairer sur les tenants et aboutissants de l’acquisition de Morea.

Channelnews : Claranet est connu pour être un hébergeur opérant ses propres infrastructures. Autrement dit un spécialiste du Cloud privé. Pourquoi racheter Morea, un spécialiste de l’infogérance dans le Cloud public d’Amazon ? Est-ce le signe annonciateur d’un changement de métier pour Claranet ?

Olivier Beaudet : Le cœur d’activité de Claranet, ce sont les services d’infogérance pas les infrastructures. Il se trouve que pour délivrer une infogérance de qualité et assurer un niveau de service suffisant, il est indispensable de maîtriser parfaitement les infrastructures. C’est pourquoi, depuis quinze ans que la société existe, elle opère ses propres infrastructures, du réseau jusqu’aux applications. C’est ce paradigme qui est en train de changer avec la rupture technologique que représente le Cloud public. Cela remet en question le besoin pour les entreprises de posséder leurs propres infrastructures et par extension pour les hébergeurs-infogéreurs que nous sommes d’opérer leur propre couche d’infrastructures.  Il s’agit d’une révolution qui va avoir des répercussions durant les dix ou quinze prochaines années. C’est donc pour capter cette vague le plus en amont possible que Claranet s’est porté acquéreur de Morea.

Vous présentez la poussée du Cloud public comme s’il s’agissait d’un phénomène nouveau. N’avez-vous pas un temps de retard en la matière ?

Olivier Beaudet : Non. Nous travaillons à la mise au point d’une offre de services d’infogérance dans le Cloud public depuis près de deux ans. À l’époque le Cloud public était réellement balbutiant. Du moins en Europe. On a d’abord misé sur un développement organique. Une équipe en interne a été chargée de comprendre comment migrer des applications dans le Cloud public et d’adapter nos outils. Ce n’est que récemment, alors que nous avions démarré la commercialisation de notre offre, que nous est apparue l’attraction gigantesque que le Cloud public représente pour les clients et la nécessité d’accélérer. Certes, aux USA, on situe le début du pic d’adoption il y a 18 à 24 mois mais, en Europe, ça démarre tout juste.

Est-ce le début de la fin de votre infrastructure d’hébergement et du Cloud privé en général ?

Olivier Beaudet : C’est le début d’un transfert massif vers le Cloud public. Et il est clair qu’on aura de moins en moins besoin d’infrastructures propres. Mais cela ne va pas se faire en un jour. Cela va commencer par les nouvelles applications. Nous pensons qu’à partir de 2017, la majeure partie des nouvelles applications seront déployées dans le Cloud public. Mais on ne sait pas à quelle vitesse va migrer le parc. Et quand bien même il migrerait rapidement, il restera toujours des applications qui ne pourront être hébergées que sur des infrastructures privées, ne serait-ce que pour des questions de conformité. C’est le cas notamment des applications de santé.

Pourquoi Morea ?

Olivier Beaudet : C’est un pure-player de l’infogérance Amazon Web Services. Il s’agit d’une société de 22 personnes réalisant 3 M€ de chiffre d’affaires. Elle fait partie des cinq ou six prestataires en pointe dans l’infogérance de Cloud public. Mais elle ne fait que ça. Or l’adoption du Cloud public va passer par une bonne part d’hybride. C’est là que se situe notre complémentarité. Nous détenons une base de 500 clients hébergés et infogérés qui vont avoir besoin de Cloud public, et nous avons cette capacité à architecturer des infrastructures mixtes, associant privé et public. C’est un des éléments clés du rapprochement entre Claranet et Morea. Cette acquisition fait de Claranet l’entreprise la plus avancée en matière d’infogérance de Cloud public avec une trentaine de personnes dédiées à cette activité sur un effectif de 165 collaborateurs et plus de 3 M€ de revenus (sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 25 M€ cette année). Une activité dont on peut espérer qu’elle doublera chaque année au cours des deux prochains exercices.

Quel intérêt vous et vos clients trouvez-vous aujourd’hui à migrer sur une infrastructure AWS plutôt qu’à rester sur votre propre infrastructure ?

Olivier Beaudet : Les trois éléments clés de la proposition de valeur du Cloud public d’AWS (par raport au Cloud privé) sont : l’autoscaling (up & down automatique) – l’infrastructure s’auto-dimensionne en fonction des besoins réels ; la couverture géographique – les applications peuvent se déployer sur l’ensemble du globe, ce qui permet d’être au plus près de ses marchés cibles ; et le paiement à l’usage – pas d’engagement. Dans ce contexte, les applications éligibles sont principalement celles ayant une durée de vie courte ou inconnue (Dev, Test, POC, nouveaux projets) ; celles devant gérer des montées et baisses de charges importantes ; et celles s’adressant à un marché hors frontière. En revanche, contrairement aux idées reçues, pour des applications stables et locales, l’utilisation du Cloud public s’avère au moins aussi coûteux que l’utilisation d’infrastructures dédiées.

AWS est la seule offre de Cloud public sur laquelle Claranet propose des services d’infogérance ?

Olivier Beaudet : Pour l’instant oui car AWS est leader incontesté de son marché. Mais la bataille du Cloud public ne fait que commencer. Nous ne nous interdisons pas de travailler avec d’autres fournisseurs plus tard. D’ailleurs, la filiale portugaise du groupe a fait le choix d’une practice Microsoft Azure plutôt qu’AWS…