Alain_GarnierAlain Garnier, patron de l’éditeur Jamespot, revient sur la polémique née du choix par le Cigref d’une solution de RSE d’origine américaine pour son usage interne. Il appelle à une prise de conscience générale sur les enjeux de la souveraineté numérique.

 

Channelnews : Vous figurez parmi les neuf membres du collectif d’éditeurs à l’origine d’une lettre ouverte adressée le mois dernier au Cigref lui reprochant de ne pas avoir consulté d’acteurs français dans le cadre de son projet de réseau social d’entreprise. Vous y dénoncez notamment « un choix […] révélateur d’un grave problème de confiance envers les acteurs du numérique en France [qui] ne favorise pas l’émergence d’acteurs clés, capables d’exporter, de créer des emplois et [de faire émerger] un écosystème dynamique au niveau Européen pour notre industrie du logiciel ».

Sans relancer la polémique – vous avez publié depuis un communiqué commun avec le Cigref annonçant votre intention de coopérer pour développer le numérique – pourriez-vous nous expliquer ce qui a motivé votre démarche ?

Alain Garnier : En effet, mon intention n’est pas de raviver la polémique. À travers le Cigref, réseau de grandes entreprises dont la vocation est la promotion de la culture numérique, c’est à l’ensemble des DSI et décideurs français que nous avons voulu nous adresser : ils doivent comprendre qu’en privilégiant les acteurs français pour leurs achats numériques, non seulement ils obtiendront en général des outils plus pertinent, plus vite et moins cher mais surtout que c’est la meilleure façon de préserver la compétitivité future de leurs entreprises.

Que voulez-vous dire ?

Alain Garnier : Une entreprise qui achète ses logiciels à un éditeur français contribue à faire grandir un actif qui pourra ensuite être exporté et donc générer des emplois et des taxes. Au passage, cette entreprise à l’opportunité d’influencer la road map produit de cet éditeur, et donc de maîtriser en amont la composante numérique de son métier. Une composante numérique qui, au demeurant, prend de plus en plus de place dans la valeur ajoutée des entreprises et qui à ce titre devient stratégique. En plus de gagner en agilité, grâce à sa proximité avec son éditeur, et de favoriser le développement de ce dernier, cette entreprise favorise la constitution d’un écosystème car son éditeur, s’il grandit, pourra un jour racheter d’autres éditeurs plus petits et garantir ainsi le financement de l’innovation.

À l’inverse, une entreprise qui souscrit ses logiciels auprès d’un éditeur SaaS nord-américain laisse partir l’entièreté de la valeur de son investissement vers les USA. Autrement dit, elle tire contre son camp. Malheureusement, c’est exactement la situation que l’on vit actuellement. Alors qu’on dispose de tout le savoir-faire nécessaire en France, les entreprises françaises continuent d’acheter en masse leur artillerie numérique aux géants américains nourissant une rente qui nous est préjudiciable.

Mais ne peut-on pas envisagez tout simplement que les solutions proposées par les éditeurs français puissent être moins bonnes ou moins adaptées que celles proposées par vos homologues américains ?

Alain Garnier : C’est ce que prétendent en effet les entreprises qui choisissent les solutions de nos concurrents américains. La vérité, c’est que les entreprises françaises ne sont bien souvent même pas consultées. Si je prends l’exemple du secteur que je connais le mieux, les réseaux sociaux d’entreprises, nous sommes au moins quatre ou cinq éditeurs spécialisés dans ce domaine en France. Or en France, c’est Microsoft Sharepoint qui rafle quasiment 80% des projets RSE dans les grands comptes. Pourtant Sharepoint n’est pas la solution la plus pertinente pour un réseau social d’entreprise. Son usage requiert des paramétrages longs et coûteux. La meilleure preuve, c’est que pendant que les entreprises françaises s’équipaient de SharePoint, les entreprises américaines faisaient majoritairement confiance à une strat-up, inconnue de ce côté-ci de l’atlantique : Yammer. Celle-là même que vient de racheter Microsoft. En France, il y a une sorte de fascination de pays sous-développé pour la technologie américaine, voire de blocage mental. Savez-vous par exemple que pas un grand client ne prend le risque de s’engager sur une prise de commande qui dépasserait un cinquième du chiffre d’affaire total de l’éditeur de peur d’être condamné au titre de la solidarité financière en cas de défaillance ?

 

Quelles initiatives communes avez-vous prévu de prendre avec le Cigref pour promouvoir le numérique français ?

Alain Garnier : Nous nous réunirons dans les prochains jours pour en parler. Mais nous souhaitons qu’au delà de la prise de conscience, il y ait des actes. On pense par exemple à des indicateurs qui mesurent précisémment la progression d’achat auprès des acteurs français du numérique.

 

Avez-vous l’impression que votre lettre ouverte a contribué à faire progresser la prise de conscience ?

Alain Garnier : Oui, nous avons avons eu plusieurs articles de presse et des articles de blogs. Par ailleurs, je me réjouis de la mobilisation de mes collègues éditeurs. Il y a dix ans, je pense que tout le monde aurait baissé la tête par peur des représailles. C’est sans doute signe que les temps changent et que les DSI n’ont plus autant la main qu’avant sur les achats informatiques. De plus en plus, ce sont les métiers qui achètent. Et eux, fort heureusement, sont beaucoup psycho-rigides que les DSI.